Le développement exponentiel du commerce électronique a transformé les noms de domaine en actifs stratégiques pour les entreprises. Cette évolution a engendré une recrudescence des pratiques de cybersquatting et de dépôts abusifs, obligeant le droit à s’adapter rapidement. Face à ces enjeux, la notion de mauvaise foi est devenue centrale dans les litiges relatifs aux noms de domaine. Entre procédures administratives comme l’UDRP (Uniform Domain Name Dispute Resolution Policy) et actions judiciaires classiques, les titulaires de droits disposent d’un arsenal juridique diversifié pour défendre leurs intérêts. Néanmoins, la caractérisation de la mauvaise foi reste un défi probatoire majeur, nécessitant une analyse minutieuse des comportements et intentions des déposants. Cette problématique se trouve au carrefour du droit des marques, de la propriété intellectuelle et du droit de l’internet.
Fondements juridiques de la protection des noms de domaine
La protection des noms de domaine s’articule autour d’un cadre juridique complexe qui combine droit national et international. En France, cette protection repose principalement sur le Code de la propriété intellectuelle, qui ne mentionne pas explicitement les noms de domaine mais offre une protection indirecte via le droit des marques. L’article L.713-3 du CPI sanctionne l’imitation d’une marque pour des produits ou services similaires, disposition régulièrement invoquée dans les litiges concernant les noms de domaine.
Sur le plan international, l’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) a mis en place dès 1999 la procédure UDRP, véritable pilier de la résolution des conflits. Cette procédure administrative permet aux titulaires de marques de contester des enregistrements abusifs sans recourir aux tribunaux. Pour être recevable, une plainte UDRP doit démontrer trois éléments cumulatifs: la similarité entre le nom de domaine et une marque antérieure, l’absence de droit légitime du déposant, et l’enregistrement et l’usage de mauvaise foi.
En complément, l’Union Européenne a développé sa propre procédure de règlement des litiges pour les domaines en .eu via le règlement ADR (Alternative Dispute Resolution). Cette procédure s’inspire de l’UDRP tout en présentant des spécificités adaptées au marché européen.
Au niveau français, l’AFNIC (Association Française pour le Nommage Internet en Coopération), gestionnaire des domaines en .fr, propose une procédure PARL (Procédure Alternative de Résolution des Litiges) depuis 2011. Cette procédure permet de contester un nom de domaine enregistré en violation des dispositions du Décret du 6 février 2007 relatif à l’attribution et à la gestion des noms de domaine.
La jurisprudence a considérablement enrichi ce cadre légal. L’arrêt de la Cour de cassation du 7 juillet 2009 dans l’affaire Hugo Boss a confirmé que l’enregistrement d’un nom de domaine reprenant une marque notoire constitue un acte de contrefaçon. De même, l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 26 septembre 2001 (affaire SFR) a reconnu que le dépôt d’un nom de domaine identique à une marque antérieure pouvait constituer un acte de parasitisme économique.
Le parasitisme économique et la concurrence déloyale sont d’ailleurs deux fondements juridiques fréquemment invoqués dans les actions en justice concernant les noms de domaine, particulièrement quand les conditions de la contrefaçon ne sont pas réunies. Ces notions permettent d’appréhender des comportements nuisibles qui échappent au droit des marques stricto sensu.
Caractérisation du dépôt abusif: critères et analyse jurisprudentielle
La notion de dépôt abusif s’est progressivement précisée à travers une jurisprudence abondante, tant au niveau des centres d’arbitrage que des tribunaux nationaux. Pour qualifier un enregistrement d’abusif, plusieurs critères ont émergé et se sont consolidés au fil du temps.
L’antériorité des droits constitue le premier élément d’analyse. Les tribunaux examinent systématiquement la chronologie des dépôts pour déterminer qui, du titulaire de la marque ou du détenteur du nom de domaine, peut se prévaloir de droits antérieurs. Dans l’affaire Milka (TGI Paris, 24 juin 2003), le tribunal a sanctionné l’enregistrement du nom de domaine « milka.fr » par un tiers, considérant que la notoriété de la marque de chocolat justifiait une protection étendue.
Le second critère concerne la légitimité du déposant à utiliser le nom de domaine. Un enregistrement peut être considéré comme légitime lorsque le déposant utilise le nom de domaine pour une offre de bonne foi de produits ou services, est connu sous ce nom, ou en fait un usage non commercial loyal. À l’inverse, l’absence totale d’activité sous le nom de domaine ou son utilisation pour rediriger vers des sites concurrents constituent des indices d’illégitimité. La décision WIPO D2019-0563 concernant « airfrance-voyage.com » illustre parfaitement cette analyse, le panel ayant considéré que le déposant n’avait aucun droit légitime sur un nom incorporant intégralement la marque notoire Air France.
La similarité entre le nom de domaine et une marque antérieure représente le troisième critère d’évaluation. Cette similarité s’apprécie selon une approche globale qui tient compte des ressemblances visuelles, phonétiques et conceptuelles. Les extensions (.com, .fr, etc.) sont généralement exclues de cette comparaison, comme l’a rappelé la Cour d’appel de Paris dans l’arrêt Celio du 4 décembre 2012. La jurisprudence a également développé la notion de « typosquatting« , qui consiste à enregistrer des noms de domaine comportant des fautes d’orthographe courantes d’une marque connue (comme « googel.com » au lieu de « google.com »).
L’exploitation effective du nom de domaine joue également un rôle déterminant. Un site inactif ou une simple page de stationnement peuvent constituer des indices d’abus, particulièrement lorsque le nom de domaine incorpore une marque notoire. La Cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 9 juin 2010, a ainsi considéré que la détention passive d’un nom de domaine reprenant une marque connue constituait un usage de mauvaise foi.
Enfin, le comportement global du déposant est scruté par les juges. L’enregistrement massif de noms de domaine similaires à des marques connues (pratique du « domain name grabbing« ) ou les tentatives de revente à prix élevé au titulaire légitime des droits sont systématiquement sanctionnés. Dans l’affaire Vuitton contre Vuiton (TGI Paris, 26 mai 2004), le tribunal a retenu la mauvaise foi du déposant qui avait enregistré une variante orthographique proche de la célèbre marque de maroquinerie.
Évolution jurisprudentielle récente
Les décisions récentes témoignent d’une sévérité accrue envers les déposants abusifs. La Cour de cassation, dans un arrêt du 10 février 2021, a confirmé que même l’enregistrement d’un nom de domaine sans exploitation pouvait constituer un acte de contrefaçon dès lors qu’il reprenait une marque notoire. Cette tendance reflète la valeur économique croissante attachée aux noms de domaine dans l’économie numérique.
La preuve de la mauvaise foi: enjeux probatoires et stratégies juridiques
La démonstration de la mauvaise foi constitue souvent le nœud gordien des litiges relatifs aux noms de domaine. Cette notion subjective, qui renvoie à l’intention du déposant, présente des défis probatoires considérables que les praticiens doivent surmonter par des stratégies adaptées.
En droit français comme dans les procédures internationales, la mauvaise foi n’est jamais présumée et doit être prouvée par celui qui l’invoque. Toutefois, face aux difficultés inhérentes à la preuve d’un état psychologique, la jurisprudence a développé un système de présomptions et d’indices permettant d’établir indirectement cette mauvaise foi.
La connaissance préalable de la marque par le déposant constitue l’un des indices les plus déterminants. Cette connaissance peut être présumée lorsque la marque jouit d’une notoriété importante ou lorsque des contacts antérieurs entre les parties sont établis. Dans l’affaire Facebook contre Facbook (WIPO D2017-0254), le panel a considéré que la notoriété mondiale du réseau social rendait impossible l’ignorance de la marque par le déposant du nom de domaine litigieux.
L’offre de vente du nom de domaine à un prix manifestement supérieur aux coûts d’enregistrement constitue un autre indice classique de mauvaise foi. La jurisprudence UDRP est constante sur ce point depuis la décision fondatrice World Wrestling Federation v. Bosman (WIPO D1999-0001). En droit français, la Cour d’appel de Paris a confirmé cette approche dans un arrêt du 16 décembre 2015, qualifiant de « rançon » la somme de 15 000 euros demandée pour céder un nom de domaine.
Le pattern d’enregistrements multiples de noms de domaine correspondant à des marques connues représente un indice particulièrement probant. Les panels UDRP n’hésitent pas à examiner le portefeuille complet de noms de domaine du défendeur pour établir un comportement systématique de cybersquatting. L’affaire Sanofi contre Domains By Proxy (WIPO D2013-0368) illustre cette approche, le panel ayant relevé que le défendeur avait enregistré plus de 200 noms de domaine incorporant des marques pharmaceutiques.
L’utilisation du nom de domaine pour des activités préjudiciables au titulaire de la marque constitue un indice supplémentaire. Ces activités peuvent prendre diverses formes: sites proposant des produits contrefaisants, pages diffamatoires, ou encore hameçonnage (phishing). Dans l’affaire Amazon contre Amazon Auto Parts (WIPO D2019-2862), le panel a retenu la mauvaise foi du défendeur qui utilisait le nom de domaine pour commercialiser des produits concurrents en se prévalant implicitement d’un lien avec la célèbre plateforme.
Face à ces enjeux probatoires, plusieurs stratégies s’offrent aux titulaires de droits:
- La surveillance préventive des enregistrements de noms de domaine similaires à leurs marques
- La documentation systématique de toutes les communications avec le déposant
- Le recours à des enquêtes privées pour établir des liens entre différents enregistrements abusifs
- L’utilisation de constats d’huissier pour figer l’état d’un site web à un moment donné
Du côté des déposants, la démonstration de la bonne foi peut s’appuyer sur:
- La preuve d’une activité légitime sous le nom de domaine
- La démonstration de l’antériorité de l’usage du terme dans un contexte différent
- L’absence de confusion possible compte tenu des différences d’activités
La Cour de cassation, dans un arrêt du 9 juin 2015, a d’ailleurs rappelé que l’appréciation de la mauvaise foi devait tenir compte de l’ensemble des circonstances, y compris le comportement ultérieur du déposant après notification de l’existence de droits antérieurs.
Procédures spécifiques et sanctions applicables aux dépôts abusifs
Face à un dépôt abusif de nom de domaine, les titulaires de droits disposent d’un éventail de procédures, chacune présentant des avantages et contraintes spécifiques. Le choix stratégique entre ces voies dépend de multiples facteurs: urgence de la situation, budget disponible, extension concernée, ou objectifs poursuivis.
La procédure UDRP reste la voie privilégiée pour les litiges internationaux, particulièrement pour les extensions génériques (.com, .net, .org). Administrée par des centres d’arbitrage comme l’OMPI ou le Forum (anciennement NAF), cette procédure présente l’avantage de la rapidité (environ 2 mois) et d’un coût relativement contenu (environ 1500€ pour un nom de domaine). La décision, rendue par un panel d’un ou trois experts, peut ordonner le transfert ou la suppression du nom de domaine litigieux. Néanmoins, l’UDRP présente certaines limites: absence de dommages-intérêts, impossibilité d’obtenir des mesures provisoires, et restriction aux seuls cas les plus flagrants de cybersquatting.
Pour les noms de domaine en .fr, l’AFNIC propose la procédure PARL (Procédure Alternative de Résolution des Litiges). Cette procédure, similaire à l’UDRP dans ses principes, présente l’avantage d’être adaptée aux spécificités du droit français et d’être légèrement moins onéreuse. La décision est rendue par un expert unique dans un délai de deux mois maximum après saisine.
L’action judiciaire classique reste parfois nécessaire, notamment lorsque le requérant souhaite obtenir des dommages-intérêts ou lorsque le litige présente des aspects complexes dépassant le simple cybersquatting. En France, le Tribunal Judiciaire est compétent pour connaître de ces litiges, généralement sur le fondement de la contrefaçon de marque (articles L.713-2 et L.713-3 du Code de la propriété intellectuelle) ou de la concurrence déloyale et du parasitisme (article 1240 du Code civil).
En cas d’urgence, la procédure de référé permet d’obtenir rapidement des mesures provisoires, comme la suspension de l’utilisation du nom de domaine ou son transfert temporaire sous astreinte. L’ordonnance Winterthur (TGI Paris, 3 mars 1997) constitue l’une des premières applications de cette procédure aux litiges de noms de domaine en France.
Les sanctions encourues par les déposants de mauvaise foi varient selon la procédure choisie:
- Dans le cadre de l’UDRP ou de la PARL: transfert ou suppression du nom de domaine
- Dans le cadre d’une action en contrefaçon: dommages-intérêts pouvant atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros, publication de la décision, transfert du nom de domaine
- Dans le cadre d’une action pénale (rare): jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 300 000€ d’amende pour contrefaçon de marque (article L.716-9 du CPI)
La jurisprudence récente témoigne d’une sévérité accrue des tribunaux français. Dans un jugement du 3 juillet 2020, le Tribunal judiciaire de Paris a condamné le déposant du nom de domaine « louis-vuitton-pas-cher.fr » à 30 000€ de dommages-intérêts pour contrefaçon et concurrence déloyale, démontrant la valeur économique désormais attachée aux noms de domaine.
L’exécution des décisions peut parfois présenter des difficultés, particulièrement lorsque le déposant est établi à l’étranger. Toutefois, l’avantage des procédures administratives comme l’UDRP réside dans leur caractère exécutoire direct auprès des registrars, sans nécessité de passer par les mécanismes traditionnels d’exequatur.
Les défendeurs disposent néanmoins de voies de recours. Une décision UDRP peut être contestée devant les tribunaux nationaux dans un délai de 10 jours ouvrables suivant la notification (procédure de « mutual jurisdiction« ). De même, les décisions PARL peuvent faire l’objet d’un recours judiciaire dans les 15 jours suivant leur notification.
Stratégies préventives et gestion proactive des portefeuilles de noms de domaine
Face aux risques associés aux dépôts abusifs, une approche préventive s’avère généralement plus efficace et économique qu’une démarche purement réactive. Les entreprises avisées développent désormais de véritables stratégies de nommage intégrant les noms de domaine dans leur politique globale de propriété intellectuelle.
La première mesure préventive consiste à sécuriser un portefeuille cohérent de noms de domaine. Au-delà de l’enregistrement du nom exact de la marque dans les principales extensions (.com, .fr, etc.), il est recommandé d’adopter une approche concentrique incluant:
- Les variations orthographiques prévisibles (notamment pour les marques à orthographe complexe)
- Les extensions stratégiques correspondant aux marchés visés (.de pour l’Allemagne, .cn pour la Chine, etc.)
- Les combinaisons sémantiques associant la marque à des termes descriptifs pertinents (marque-shop, buy-marque, etc.)
La surveillance constitue le second pilier d’une stratégie préventive efficace. Des services spécialisés permettent aujourd’hui de monitorer automatiquement les nouveaux enregistrements de noms de domaine similaires aux marques protégées. Cette veille doit idéalement couvrir non seulement les nouvelles extensions génériques (« new gTLDs ») comme .shop ou .app, mais aussi les extensions nationales pertinentes pour l’activité de l’entreprise.
L’adoption de mécanismes de protection spécifiques est également recommandée. L’ICANN a mis en place plusieurs outils dédiés, notamment:
- Le Trademark Clearinghouse (TMCH), qui permet d’enregistrer ses marques dans une base de données centrale utilisée pendant les périodes de « sunrise » précédant l’ouverture de nouvelles extensions
- Le Domains Protected Marks List (DPML) proposé par certains registres, qui bloque l’enregistrement de variantes de marques enregistrées dans plusieurs extensions simultanément
- L’URS (Uniform Rapid Suspension System), procédure accélérée permettant la suspension rapide de noms de domaine manifestement abusifs dans les nouvelles extensions
La gestion centralisée du portefeuille de noms de domaine représente un autre aspect fondamental. Confier l’ensemble des noms de domaine à un registrar unique facilite leur administration et réduit les risques d’oubli de renouvellement. Des plateformes dédiées permettent aujourd’hui de gérer efficacement des centaines, voire des milliers de noms de domaine, avec des fonctionnalités d’alerte et de renouvellement automatique.
Les entreprises doivent également définir une politique d’acquisition claire pour les noms de domaine déjà détenus par des tiers. Si l’acquisition amiable reste souvent préférable à un contentieux, il convient d’établir des lignes directrices précises concernant les budgets alloués et les modalités de négociation pour éviter d’encourager les pratiques spéculatives.
À l’échelle organisationnelle, la coordination entre les services juridiques, marketing et informatiques est indispensable. Trop souvent, des enregistrements sont effectués par différents départements sans vision d’ensemble, conduisant à des incohérences et des vulnérabilités. L’établissement d’un comité dédié aux questions de nommage peut faciliter cette coordination.
Enfin, l’audit régulier du portefeuille de noms de domaine permet d’optimiser les coûts en abandonnant les noms devenus non pertinents tout en identifiant les lacunes à combler. Cet exercice, idéalement annuel, doit s’inscrire dans la stratégie globale de propriété intellectuelle de l’entreprise.
Des entreprises comme L’Oréal ou LVMH ont développé des approches particulièrement sophistiquées en la matière, avec des portefeuilles comprenant plusieurs milliers de noms de domaine gérés proactivement. Cette approche, autrefois réservée aux multinationales, tend à se démocratiser avec l’émergence de services accessibles aux PME.
Perspectives d’évolution et défis futurs dans la lutte contre les dépôts abusifs
Le paysage juridique et technique des noms de domaine connaît des mutations profondes qui redessinent les contours de la lutte contre les dépôts abusifs. Ces évolutions soulèvent de nouveaux défis tout en ouvrant des perspectives inédites pour les titulaires de droits.
La multiplication des extensions constitue l’un des bouleversements majeurs de ces dernières années. Avec plus de 1 500 extensions génériques désormais disponibles, les stratégies traditionnelles de protection deviennent financièrement insoutenables, même pour les grandes entreprises. Cette prolifération impose une approche plus sélective, fondée sur une analyse de risques. Les titulaires de droits doivent désormais prioriser leurs enregistrements défensifs en fonction de critères comme la popularité de l’extension, sa pertinence sectorielle ou les risques spécifiques qu’elle présente.
L’internationalisation croissante du système des noms de domaine, avec le développement des IDN (Internationalized Domain Names) en caractères non latins, complexifie davantage la problématique. Les marques mondiales doivent désormais envisager la protection de leurs identifiants dans des alphabets cyrillique, arabe ou chinois, ce qui requiert une expertise spécifique et multiplie les coûts de surveillance.
Les technologies émergentes transforment également le paysage des litiges. L’intelligence artificielle offre de nouvelles possibilités tant pour les cybersquatteurs que pour ceux qui les combattent. D’un côté, des algorithmes sophistiqués peuvent identifier automatiquement les marques valorisables non encore protégées dans certaines extensions. De l’autre, des systèmes d’analyse prédictive permettent d’anticiper les enregistrements abusifs en détectant des patterns suspects.
La blockchain et les systèmes décentralisés de nommage représentent un défi particulier. Des extensions comme .crypto ou .eth, qui fonctionnent hors du cadre de l’ICANN, ne sont pas soumises aux procédures classiques comme l’UDRP. Cette situation crée des zones de vide juridique où les titulaires de marques disposent de moyens d’action limités. Les tribunaux français commencent tout juste à appréhender ces problématiques, comme l’illustre une récente ordonnance de référé du Tribunal judiciaire de Paris concernant un nom de domaine en .crypto (ordonnance du 2 avril 2021).
Sur le plan juridique, l’harmonisation des procédures reste un objectif à atteindre. Malgré des efforts notables, les disparités entre juridictions nationales créent des opportunités d’arbitrage réglementaire exploitées par les cybersquatteurs. Le projet de réforme de l’UDRP initié par l’ICANN vise à moderniser cette procédure vieille de plus de 20 ans, notamment en clarifiant certains critères d’appréciation de la mauvaise foi et en renforçant les mécanismes anti-abus.
La question des données personnelles des titulaires de noms de domaine constitue un autre enjeu majeur. Depuis l’entrée en vigueur du RGPD, l’accès aux coordonnées des déposants via les bases WHOIS a été considérablement restreint, compliquant l’identification des cybersquatteurs. L’ICANN travaille actuellement sur un système d’accès unifié (SSAD – System for Standardized Access/Disclosure) qui permettrait aux ayants droit d’accéder à ces informations pour des motifs légitimes, tout en préservant la confidentialité des données.
Face à ces défis, plusieurs tendances se dessinent:
- Le développement de consortiums d’entreprises mutualisant leurs ressources pour lutter contre les dépôts abusifs dans certains secteurs particulièrement touchés (luxe, pharmacie)
- L’émergence de solutions technologiques intégrées combinant surveillance, détection et réponse automatisée
- L’adoption de stratégies différenciées selon les territoires et les extensions, avec une approche plus agressive sur les marchés stratégiques
La jurisprudence continuera probablement à évoluer vers une reconnaissance plus large de la protection des marques renommées, comme le suggèrent les récentes décisions de l’OMPI accordant une protection quasi-absolue aux marques les plus célèbres, même dans des classes de produits éloignées.
En définitive, la lutte contre les dépôts abusifs de noms de domaine nécessitera une adaptation constante aux évolutions technologiques et juridiques. Les titulaires de droits qui sauront combiner approche préventive, surveillance stratégique et réaction proportionnée seront les mieux armés face à ces défis mouvants.

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