Le contentieux des exclusions de garantie en matière d’assurance santé constitue un domaine particulièrement fertile du droit des assurances. Face à la multiplication des clauses limitatives dans les contrats, les tribunaux ont progressivement élaboré un corpus jurisprudentiel substantiel visant à protéger les assurés contre les pratiques abusives. Cette jurisprudence s’articule autour de principes fondamentaux comme la clarté et la précision des clauses contractuelles, tout en s’adaptant aux évolutions législatives et réglementaires. L’analyse des décisions juridictionnelles dans ce domaine révèle un équilibre délicat entre la liberté contractuelle des assureurs et la protection des droits des assurés.
L’encadrement juridique des exclusions de garantie
Les exclusions de garantie représentent des mécanismes contractuels permettant aux compagnies d’assurance de définir précisément l’étendue de leur engagement. Le Code des assurances, dans son article L.112-4, impose que ces clauses d’exclusion soient rédigées en caractères très apparents. Cette exigence formelle s’est vue renforcée par une jurisprudence constante de la Cour de cassation.
La jurisprudence a établi que les exclusions doivent être à la fois formelles et limitées, comme l’a rappelé l’arrêt de la deuxième chambre civile du 8 octobre 2020 (n°19-19.175). Dans cette affaire, la Haute juridiction a invalidé une clause d’exclusion jugée trop générale et imprécise, qui visait « les maladies ou accidents survenus antérieurement à l’adhésion » sans autre précision temporelle ou matérielle.
Le caractère formel d’une exclusion suppose qu’elle soit rédigée de façon claire, précise et sans ambiguïté. Cette exigence a été illustrée par un arrêt du 26 novembre 2020 (Cass. 2e civ., n°19-16.435) où la Cour de cassation a censuré une clause excluant « les conséquences d’une maladie chronique » sans définir cette notion médicale complexe et potentiellement interprétable.
Quant au caractère limité, il implique que l’exclusion ne vide pas substantiellement le contrat de sa substance. Un arrêt remarqué du 12 février 2021 (Cass. 2e civ., n°19-23.562) a ainsi invalidé une clause excluant « toute pathologie liée au stress ou à la dépression », considérant qu’une telle exclusion, par son ampleur, privait l’assuré d’une couverture significative alors même que les troubles psychologiques représentent une part croissante des arrêts de travail.
L’évolution législative a par ailleurs conduit à l’interdiction de certaines exclusions. La loi Évin du 31 décembre 1989 et la loi Leroux du 14 juillet 1999 ont ainsi prohibé les exclusions fondées sur des informations génétiques ou sur l’état de santé pour les contrats collectifs obligatoires. Ces restrictions ont été confirmées et précisées par la jurisprudence, notamment dans un arrêt de la deuxième chambre civile du 4 mars 2021 (n°19-25.349).
Les critères jurisprudentiels de validité des clauses d’exclusion
Au fil des décisions, les juges ont dégagé plusieurs critères permettant d’apprécier la validité des clauses d’exclusion. Ces critères forment désormais un cadre d’analyse cohérent pour les professionnels du droit et les assureurs.
Le premier critère concerne la mise en forme des clauses. Dans un arrêt du 9 février 2023 (Cass. 2e civ., n°21-19.246), la Cour a précisé que les caractères « très apparents » exigés par l’article L.112-4 du Code des assurances impliquent une typographie distincte du reste du contrat, par sa taille, sa couleur ou son style. La simple utilisation de caractères gras a été jugée insuffisante dans plusieurs décisions, dont celle du 17 septembre 2020 (Cass. 2e civ., n°19-12.417).
Le deuxième critère porte sur la précision terminologique. La jurisprudence exige que les termes employés soient définis avec exactitude, particulièrement lorsqu’ils relèvent du vocabulaire médical ou technique. L’arrêt du 5 novembre 2020 (Cass. 2e civ., n°19-17.164) a ainsi invalidé une exclusion visant « les affections disco-vertébrales » sans que cette expression médicale ne soit explicitée dans le contrat.
L’exigence de proportionnalité
Un troisième critère, développé plus récemment, concerne la proportionnalité de l’exclusion. Les juges vérifient que l’exclusion ne prive pas l’assuré d’une partie substantielle de la couverture qu’il pouvait légitimement attendre. Cette approche téléologique a été consacrée dans un arrêt du 14 janvier 2021 (Cass. 2e civ., n°19-23.277) concernant un contrat de prévoyance qui excluait toutes les pathologies préexistantes, même celles n’ayant jamais donné lieu à symptômes ou traitements.
La jurisprudence a par ailleurs développé une analyse contextuelle des exclusions, prenant en compte la nature du contrat et le profil de l’assuré. Pour les contrats destinés à des populations spécifiques, comme les contrats de prévoyance pour sportifs professionnels, les juges admettent des exclusions plus larges, adaptées aux risques particuliers de ces populations (Cass. 2e civ., 16 décembre 2021, n°20-18.511).
Enfin, l’articulation entre clauses d’exclusion et questionnaire médical fait l’objet d’un contrôle rigoureux. Dans un arrêt du 7 octobre 2021 (Cass. 2e civ., n°20-14.988), la Cour a considéré qu’un assureur ne pouvait se prévaloir d’une exclusion générale des pathologies préexistantes lorsque le questionnaire médical n’avait pas permis à l’assuré de déclarer précisément ses antécédents.
- Caractère très apparent de la clause
- Précision et clarté des termes employés
- Proportionnalité de l’exclusion par rapport à l’objet du contrat
- Contextualisation selon la nature du risque et le profil de l’assuré
- Cohérence avec le questionnaire médical
Le contentieux spécifique des maladies antérieures et chroniques
Les exclusions concernant les maladies préexistantes à la souscription du contrat constituent un terrain particulièrement fertile en contentieux. Les tribunaux ont progressivement affiné leur approche de ces clauses qui représentent un enjeu majeur pour les assurés atteints de pathologies chroniques.
La Cour de cassation a établi une distinction fondamentale entre pathologie diagnostiquée et pathologie simplement existante mais non détectée. Dans un arrêt remarqué du 18 mars 2021 (Cass. 2e civ., n°19-20.143), les juges ont considéré qu’une exclusion visant « toute maladie existant à la date de souscription » était invalide car trop imprécise et potentiellement applicable à des pathologies dont l’assuré ignorait l’existence.
Cette position a été confirmée et précisée dans l’arrêt du 23 septembre 2021 (Cass. 2e civ., n°19-25.583) où la Haute juridiction a jugé qu’une exclusion ne pouvait concerner que les pathologies « connues de l’assuré » ou « ayant donné lieu à des symptômes ayant nécessité un traitement médical ». Cette formulation est désormais considérée comme une référence pour les compagnies d’assurance souhaitant rédiger des clauses d’exclusion valides.
Pour les maladies chroniques, la jurisprudence opère une distinction selon le caractère évolutif ou stabilisé de la pathologie. L’arrêt du 14 octobre 2021 (Cass. 2e civ., n°20-15.164) a ainsi validé une exclusion visant spécifiquement « les complications et rechutes de maladies antérieures ayant un caractère évolutif connu », tout en soulignant que cette formulation supposait que l’assureur démontre effectivement le caractère évolutif connu de la pathologie.
La question du lien de causalité entre la maladie préexistante et le sinistre fait l’objet d’une attention particulière. Dans un arrêt du 3 février 2022 (Cass. 2e civ., n°20-17.479), la Cour a censuré la décision d’une cour d’appel qui avait appliqué une exclusion de garantie à un assuré diabétique victime d’un accident vasculaire cérébral, sans démontrer formellement le lien direct et exclusif entre le diabète préexistant et l’AVC.
Cette exigence de lien causal direct et certain entre la pathologie exclue et le sinistre s’est confirmée dans la jurisprudence récente, notamment dans un arrêt du 24 mars 2022 (Cass. 2e civ., n°20-20.982) où la Cour a rappelé que « l’exclusion de garantie ne peut jouer que si l’assureur démontre que le sinistre résulte directement et exclusivement de la pathologie exclue ».
Les sanctions jurisprudentielles des exclusions abusives
Face aux clauses d’exclusion jugées non conformes, les tribunaux ont développé un arsenal de sanctions dont la sévérité s’est accrue au fil des années, reflétant une volonté de protection renforcée des assurés.
La sanction principale consiste à réputer la clause d’exclusion non écrite. Cette solution, conforme à l’article L.112-4 du Code des assurances, a été systématisée par la jurisprudence. Dans un arrêt du 7 octobre 2021 (Cass. 2e civ., n°20-16.481), la Cour a précisé que lorsqu’une exclusion est jugée non conforme aux exigences légales, elle est réputée n’avoir jamais existé, ce qui implique que l’assureur doit garantir le risque comme si aucune exclusion n’avait été stipulée.
Cette sanction radicale s’applique indépendamment du comportement de l’assuré. Ainsi, dans l’arrêt du 12 mai 2022 (Cass. 2e civ., n°20-22.367), la Cour de cassation a rappelé que même en cas de réticence ou fausse déclaration de l’assuré, l’assureur ne peut se prévaloir d’une exclusion non conforme aux exigences formelles et matérielles de la loi.
Au-delà de cette sanction principale, les tribunaux ont développé une approche plus globale, incluant la possibilité de dommages-intérêts complémentaires. L’arrêt du 9 septembre 2021 (Cass. 2e civ., n°19-25.647) a ainsi reconnu qu’un assureur ayant systématiquement appliqué des clauses d’exclusion non conformes pouvait être condamné à verser des dommages-intérêts pour résistance abusive, au-delà de la simple exécution de la garantie.
La jurisprudence récente a par ailleurs consacré la possibilité d’une sanction sur le fondement de la responsabilité civile de l’assureur, notamment en cas de retard dans l’indemnisation. Dans un arrêt du 14 avril 2022 (Cass. 2e civ., n°20-19.477), la Cour a confirmé la condamnation d’un assureur à verser des dommages-intérêts distincts de la garantie contractuelle, en raison du préjudice moral et financier subi par l’assuré du fait du refus initial fondé sur une clause d’exclusion invalide.
Le contentieux des clauses abusives constitue une autre voie de sanction, particulièrement pour les contrats conclus avec des consommateurs. La jurisprudence a progressivement admis la qualification de clause abusive pour certaines exclusions de garantie, comme l’illustre l’arrêt du 17 juin 2021 (Cass. 1re civ., n°19-24.467) concernant une clause excluant « toute maladie psychique sans hospitalisation », jugée créatrice d’un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.
- Réputée non écrite : l’exclusion invalide est considérée comme inexistante
- Dommages-intérêts pour résistance abusive
- Responsabilité civile pour retard d’indemnisation
- Qualification de clause abusive avec nullité possible
Vers une harmonisation des pratiques : l’impact des réformes récentes
L’évolution du cadre législatif et réglementaire a considérablement modifié le paysage des exclusions de garantie en assurance santé. Ces réformes témoignent d’une volonté d’harmonisation et de protection accrue des assurés.
La réforme du droit des contrats issue de l’ordonnance du 10 février 2016 a renforcé les exigences de clarté et d’intelligibilité des clauses contractuelles. L’article 1170 du Code civil, qui prohibe les clauses privant de substance l’obligation essentielle du débiteur, a été mobilisé par la jurisprudence pour sanctionner certaines exclusions de garantie particulièrement larges. Dans un arrêt du 3 mars 2022 (Cass. 2e civ., n°20-20.219), la Cour a ainsi fait application de ce texte pour invalider une clause excluant « toute affection du dos sans cause traumatique » dans un contrat de prévoyance destiné aux travailleurs du bâtiment.
La loi Hamon du 17 mars 2014 a instauré de nouvelles obligations d’information précontractuelle qui ont un impact direct sur la rédaction et la présentation des exclusions de garantie. La jurisprudence a intégré ces exigences dans son appréciation de la validité des clauses. L’arrêt du 16 décembre 2021 (Cass. 2e civ., n°20-18.511) a ainsi considéré que le non-respect des obligations d’information précontractuelle concernant les exclusions constituait un manquement distinct pouvant entraîner la nullité de ces clauses, indépendamment de leur conformité aux exigences de l’article L.112-4 du Code des assurances.
La réforme « 100% Santé » mise en place progressivement depuis 2019 a considérablement restreint la possibilité pour les assureurs de prévoir des exclusions dans les contrats responsables. La jurisprudence commence à en tirer les conséquences, comme l’illustre l’arrêt du 24 février 2022 (Cass. 2e civ., n°20-21.134) qui a invalidé une clause excluant certains équipements optiques désormais couverts par le panier de soins minimal obligatoire.
L’influence du droit européen
Le droit européen exerce une influence croissante sur le traitement des exclusions de garantie. La Cour de justice de l’Union européenne a développé une jurisprudence protectrice en matière de clauses abusives, avec des répercussions directes sur le droit français. Dans l’arrêt VB Pénzügyi Lízing (CJUE, 9 novembre 2010, C-137/08), la Cour a considéré que le juge national devait examiner d’office le caractère abusif des clauses contractuelles, principe que la Cour de cassation a transposé aux exclusions de garantie dans son arrêt du 12 mai 2022 (Cass. 2e civ., n°20-22.367).
La directive distribution d’assurance (DDA) de 2016, transposée en droit français en 2018, a imposé de nouvelles exigences en matière de conseil et d’information du client. Cette réforme a conduit à un renforcement du contrôle jurisprudentiel sur les exclusions de garantie, comme en témoigne l’arrêt du 10 mars 2022 (Cass. 2e civ., n°20-19.047) qui a sanctionné un assureur n’ayant pas suffisamment attiré l’attention de l’assuré sur une exclusion importante au regard de sa situation personnelle.
La standardisation des documents d’information précontractuels, avec le document d’information normalisé sur le produit d’assurance (IPID), contribue à une meilleure lisibilité des exclusions. La jurisprudence commence à prendre en compte ce nouvel outil, comme dans l’arrêt du 7 avril 2022 (Cass. 2e civ., n°20-22.779) où la Cour a considéré que l’absence de mention claire d’une exclusion dans l’IPID constituait un élément d’appréciation de la validité de cette clause.
Perspectives et recommandations pratiques pour les acteurs du secteur
Face à une jurisprudence exigeante et en constante évolution, les compagnies d’assurance et les professionnels du droit doivent adapter leurs pratiques pour sécuriser les clauses d’exclusion et minimiser les risques contentieux.
Pour les assureurs, la première recommandation consiste à revoir régulièrement la rédaction des clauses d’exclusion à la lumière des décisions récentes. L’analyse de l’arrêt du 17 mars 2022 (Cass. 2e civ., n°20-19.766) montre qu’une clause validée par la jurisprudence antérieure peut être remise en cause par une évolution jurisprudentielle ultérieure, ce qui justifie une veille permanente et des mises à jour régulières des contrats.
La mise en forme des clauses d’exclusion mérite une attention particulière. Au-delà du simple usage de caractères gras, les décisions récentes encouragent l’utilisation d’un ensemble de procédés visuels : encadrés, couleurs distinctives, typographie spécifique. L’arrêt du 9 février 2023 (Cass. 2e civ., n°21-19.246) a validé une approche combinant plusieurs de ces éléments pour satisfaire l’exigence de caractères « très apparents ».
L’articulation entre le questionnaire médical et les clauses d’exclusion représente un point d’attention majeur. La jurisprudence récente, notamment l’arrêt du 7 octobre 2021 (Cass. 2e civ., n°20-14.988), invite les assureurs à personnaliser les exclusions en fonction des déclarations recueillies plutôt que de recourir à des exclusions générales standardisées. Cette approche individualisée réduit considérablement le risque d’invalidation des clauses.
Pour les avocats représentant les assurés, l’analyse systématique des conditions formelles et matérielles des exclusions demeure une stratégie efficace. La jurisprudence offre désormais un corpus substantiel permettant de contester la plupart des clauses mal rédigées ou insuffisamment mises en évidence. L’arrêt du 14 avril 2022 (Cass. 2e civ., n°20-19.477) confirme par ailleurs l’intérêt de cumuler les fondements de recours, en associant la contestation de l’exclusion à des demandes fondées sur la responsabilité civile ou sur le droit de la consommation.
Les médiateurs d’assurance, dont le rôle s’est considérablement renforcé ces dernières années, contribuent à l’harmonisation des pratiques. Leurs avis, bien que non contraignants, influencent la jurisprudence et les pratiques sectorielles. Le rapport annuel 2022 du Médiateur de l’Assurance souligne l’importance d’une rédaction claire et pédagogique des exclusions, recommandation que les tribunaux semblent progressivement intégrer dans leur appréciation.
- Veille jurisprudentielle et mise à jour régulière des contrats
- Combinaison de procédés visuels pour mettre en évidence les exclusions
- Personnalisation des exclusions en fonction du questionnaire médical
- Multiplication des fondements juridiques dans les stratégies contentieuses
- Prise en compte des recommandations des médiateurs
Les évolutions jurisprudentielles récentes témoignent d’une recherche d’équilibre entre les intérêts légitimes des assureurs et la protection des assurés. Si la tendance générale reste favorable aux assurés, certaines décisions récentes, comme l’arrêt du 24 février 2023 (Cass. 2e civ., n°21-20.653), montrent que les juges reconnaissent aussi la nécessité pour les assureurs de pouvoir définir précisément l’étendue de leurs engagements, dès lors que les conditions légales sont respectées.

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